Bouh ! de Mike Kenny, par Valérie Marinese. Valence 2013.



"Une certaine poésie décalée du drame"

Serrée entre deux jeunes filles et entourée d’un public relativement agité, j’ai assisté le 23 janvier 2013 à La Fabrique à la représentation de la pièce « Bouh ! » écrite par Mike Kenny, traduite par Séverine Magois et mise en scène par Valérie Marinese. 

On peut lire sur la brochure remise à l’entrée ces quelques lignes : 

« Bouh est un jeune homme pas comme les autres, présentant sans doute une déficience intellectuelle. Il a l'interdiction de sortir de chez lui. Petit, il se faisait sans cesse insulter et violenter. Avec le temps, les agressions se sont faites plus rares, jusqu'au jour où le quartier apprend par la presse la disparition d'une jeune fille, Kelly Spanner. Bouh ne sort plus de chez lui. Son frère, Benny, s'occupe de lui, tant bien que mal, depuis le décès de leur mère. 
Ils ont comme voisins deux enfants, un frère et une soeur. C'est les grandes vacances mais le grand frère ne doit pas quitter des yeux sa soeur depuis que leur père, inquiet de la disparition de Kelly Spanner, le lui a ordonné. Bouh, invisible et reclus dans sa maison, devient alors fascinant pour les enfants qui cherchent à l'approcher. Très vite, toutes sortes de rumeurs circulent autour de lui. » 

Mike Kenny, lors des différents entretiens, confie qu'il avait écrit le rôle de Bouh à partir d'une rencontre avec un autiste souffrant du syndrome d'Asperger. Et de sa difficulté à faire de ce rôle une parole qu'on peut entendre, qui veut se faire entendre malgré les difficultés des uns à l'écouter et de l'autre à parler. C'est une pièce pour enfants, mettant en scène des enfants. Pourtant, elle est jouée par des adultes. Cela n'en fait qu'ouvrir plus l'universalité du propos. « Bouh! » c'est l'histoire d'un mur, d'un mur que l'on dresse devant la peur et qu’on percute. Bouh, Fais-moi peur. La pièce est une rumeur, une rumeur angoissante qui enferme les gens chez eux. Bouh est chez lui, dedans, observé par deux enfants, dehors, obligés de veiller l'un sur l'autre. Kelly Spanner, l'enfant disparue est partout et nulle part, elle est la rumeur. La rumeur que l'on entretient par des affiches, questions, des questions qui entourent Bouh. Dans cette forme de huis-clos, on découvre la force du silence, l'impossible communication et surtout la force de ce mur invisible qui sépare tacitement le normal du différent, le public et l'étrange. Les enfants regardent Bouh, cet animal inquiétant car différent, et cherchent à voir ce qui se passe dans sa cage. Ces enfants qui ne peuvent jouer sans la présence des adultes - présence absente que soulignent Bouh par ses interrogations « Mais qui s’occupent d’eux? » - alors ils s'occupent d’eux-même et Bouh devient l'objet de fascination, la bête de foire. Jusqu'au jour où le mur tombe, où le silence est rompu, le rêve prend racine avant de se transformer en cauchemar où seul subsiste la peur. La peur qui fait maintenant sortir les gens de chez eux, qui fait s'enfuir Bouh hors de chez lui, et qui le fait percuter une voiture. 

Dans la mise en scène de Valérie Marinese il y a l'accent porté sur l'enfance, sur les lacunes d'un discours qui peut accuser ou innocenter. Le désir de voir et d'entendre. La musique a une place privilégiée et sert de lien, d'union entre deux mondes qui ne se voient pas, ne s'entendent, ne se comprennent pas. Mais qui peuvent l’espace d’un instant, d’une danse entre La Fille et Bouh, rêver et s’unir. La lecture de la pièce propose souvent une idée sombre des dialogues, une atmosphère pesante, ici on y trouve l'humour, l'enfance et la naïveté qui vient éclater les différentes bulles d'angoisses et de malaises qui gonflent successivement. La scénographie bétonnée de parpaings m'a rappelé le carcan des idées préconçues dans lesquelles les adultes et les parents inquiets se rassurent, se protègent. Protéger jusqu’à quel point ? En effet, le monde dans lequel évolue Bouh et Benny semble s’être stoppé dans le temps, une vieille télé, un design des années 70, chaque chose à sa place depuis toujours pour ne pas perturber la chorégraphie quotidienne de Bouh. Ne rien changer. Mais Benny veut changer, autant que Le Garçon qui veut partir et jouer avec ses amis. Il y a ce désir de sortir ou de rentrer. Cet environnement de débris peut être aussi un lieu en construction. Mais cette construction semble impossible car séparé par une porte invisible, le mur n’est qu’un simple muret mais cela suffit à isoler chacun des deux mondes. 

Il y a dans cette mise en scène une certaine poésie décalée du drame. L’enchainement photographique de Bouh jusqu’à l’accident est un bon moyen d’introduire de façon décalée un évènement grave et indescriptible. Les positions statiques de Bouh le font apparaître à l’écran comme une poupée que l’on fait avancer case par case. La mort devient purement un fait, un objet, puisqu’il n’y a ni violence, ni projections de sang, ni de théâtralité tragique. Aussi simple et innocent que l’enfance. Le jouet est tombé, Bouh est mort. Et dans le silence qui suit les paroles de La Fille, on comprend qu’il est trop tard, qu’il n’y a plus rien à jouer sinon la rumeur qui se perd et qui ne nous concerne déjà plus. En effet Kelly Spanner n’était « pas d’ici ». 

C’est lorsque nous avons eu fini d’applaudir plusieurs fois les acteurs, que je me suis rendue compte que le public agité du début était devenu un public attentif, peut-être touché. Connaissant très bien le texte, je n’ai pas eu d’effets de surprises et mes propres interprétations ont été plus ou moins entamées – j’entends encore la voix trop criarde et caricaturale de La Fille –. Néanmoins, Valérie Marinese réussit à nous transmettre le texte de Mike Kenny, ses enjeux sur la confrontation de l’enfance face à la différence, ses répercussions dans le monde du publique, de l’adulte. Et surtout son rapport étroit et conclusif avec les préjugés, le silence et la peur.


Commentaires

  1. Je n'ai pas vu la pièce, pas lu le livre, mais je pense comprendre ton travail !
    "Bien ouéj!" comme disent mes élèves.^^

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  2. Waah, ce résumé donne envie :o
    Ton idée est très bonne ! Elle est tellement toi..!

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